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Ian Fleming is forever

Combien de fois ai-je vu les films de James Bond depuis ce jour de 1988 où la découverte de Dr No à la télévision m'avait fortement impressionné ? Je l'ignore, j'ai cessé de compter. D'ailleurs, depuis que m'a été offert l'année dernière le coffret blu-ray Bond 50, je les revois à nouveau un à un dans une qualité d'image et de son inédite. On peut percevoir des détails jamais observés auparavant. C'est une redécouverte ; un vrai plaisir.

Après une énième rétrospective de toute la série cinématographique en 2009 et 2010, je ne me voyais pas enchaîner à nouveau rapidement sur le premier film avant au moins... deux ans... maximum. En réalité, pour la première fois, je craignais de me lasser. Je n'avais cependant pas non plus très envie d'ignorer complètement l'univers bondien pendant une aussi longue période. Il fallait que mon addiction à ce personnage soit un tant soit peu nourrie. Mon regard s'est alors tourné vers les livres de Ian Fleming. Il m'a semblé que le moment était venu de redécouvrir les origines de 007 car à l'inverse des films, je n'avais lu les livres qu'une fois, pendant mon adolescence et dans le désordre.

Ce qui m'a principalement marqué dans cette relecture, c'est de m'apercevoir que chaque ouvrage est différent des autres, tant dans leurs intrigues que dans leurs constructions narratives. Ainsi, chaque livre est une surprise. Par exemple, Ian Fleming n'hésite pas à faire apparaître James Bond de façon tardive. From Russia with love voit l'espion n'intervenir qu'en seconde partie même s'il est le sujet de la réunion de SMERSH dans la première. Plus osé et plus risqué, The spy who loved me est vu à travers les yeux d'une femme que James Bond, par le plus grand des hasards, sauve des griffes de gangsters en troisième partie, le héros étant complètement absent dans les deux premières. Dans la nouvelle Quantum of solace, James Bond n'est qu'un prétexte, il se contente d'écouter une histoire amoureuse qui se conclut tragiquement. Il n'est que peu présent également dans Octopussy même si c'est lui qui sera à l'origine du suicide du major Dexter Smythe.

La psychologie de James Bond lui-même peut surprendre. Pouvant s'ennuyer facilement, le personnage semble régulièrement soit au bord de la dépression, soit franchement dépressif (Thunderball). D'ailleurs, sa grosse consommation de tabac et d'alcool n'est que la manifestation extérieure de son état psychique. Pour autant, il est souvent considéré par M comme son meilleur agent de la section 00. Ian Fleming a surtout créé un personnage qui possède une véritable biographie élaborée et détaillée à l'aide de différents procédés au fur et à mesure de la parution des livres. Dans From Russia with love, son parcours est vu à travers le dossier que le SMERSH détient sur lui. C'est avec un membre du bureau héraldique qu'il apprend ses origines dans On her Majesty's secret service et c'est à travers sa nécrologie que M rédige vers la fin de You only live twice que le lecteur possède quelques renseignements sur ses parents.

James Bond n'est pas le seul à bénéficier d'une biographie. Ian Fleming livre des détails sur le passé de ses ennemis, leur physique souvent ingrat ainsi que sur leurs différentes déviances notamment sexuelles. Les confrontations en deviennent piquantes.

Ian Fleming fait preuve d'une indéniable culture qu'il utilise pour ses histoires. Il est impossible d'écrire You only live twice comme il l'a fait sans s'être intéressé sérieusement au Japon, à son histoire et à ses coutumes. Son avant dernier roman constitue une plongée au cœur de ce pays. C'est aussi le cas de la France où James Bond séjourne régulièrement. Royale-les-Eaux (Casino Royale, On her Majesty's secret service), bien que fictive, n'en semble pas moins familère pour celles et ceux qui connaissent un peu les stations des côtes de Picardie et du Nord-Pas-de-Calais. Je me souviens aussi de la description brève mais néanmoins exacte que fait l'écrivain du type de villages que l'on peut traverser autour de Montreuil-sur-Mer. Ces détails et bien d'autres encore rendent réalistes des aventures flirtant souvent avec l'invraisemblable et l'extraordinaire.

Il est régulièrement reproché à Ian Fleming de tenir des propos racistes et sexistes. Concernant le racisme, on ne peut que constater que c'est vrai. C'est d'ailleurs assez paradoxal tant certaines affirmations à l'égard de certaines populations tranchent avec sa curiosité et ses connaissances des cultures étrangères. Je suis plus nuancé quant à l'accusation de sexisme. Certes, il y a quelques réflexions désobligeantes vis-à-vis des femmes mais son oeuvre contient des portraits féminins d'exception. Certains faits sont aussi à mentionner. Certaines refusent ses avances, telle Gala Brand qui le laisse seul à la fin de Moonraker. On apprend aussi au début de From Russia with love qu'il a vécu avec la Tiffany Case de Diamonds are forever avant qu'elle ne le quitte. Il y a aussi Vivienne Michel. Comme je le disais précédemment, tout est vécu à travers cette femme dans The spy who loved me et Ian Fleming se sort intelligemment de cet exercice qu'il s'est imposé.

Il ne faut pas oublier qu'en dehors de James Bond, Ian Fleming a écrit d'autres choses loin d'être inintéressantes. The diamond smugglers, un reportage sur le trafic de diamants où le lecteur a l'occasion de vivre au milieu d'une enquête sur le sujet ; Thrilling cities, un recueil de voyages à travers le monde qui se distingue par l'originalité des choix de visites faits dans les lieux où il se rend ; Chitty Chitty Bang Bang, un livre pour enfants assez plaisant à lire.

Lire ou relire Ian Fleming, c'est apprécier une littérature populaire respectueuse de son lecteur et c'est découvrir ou redécouvrir James Bond. C'est se rendre compte qu'aucun interprète du personnage au cinéma aussi bon soit-il ne l'a joué tel qu'il est dans les romans y compris Sean Connery. J'ai pu lire parfois que le James Bond de Fleming était un tueur froid. C'est faux, il répugne à tuer. Il n'est pas non plus aussi frivole et désinvolte avec les femmes qu'il peut l'être dans les films surtout pendant la période Roger Moore. Il n'a pas cette manie de la vodka-martini "shaken not stirred". Il ne dispose pas non plus de tous ces gadgets lui permettant de sortir de situations périlleuses haut la main. Les libertés prises avec l'univers de Ian Fleming existent dès la première adaptation. Ainsi, on ne connait pas James Bond si on n'a pas lu Ian Fleming.

J'aurai donc mis environ deux ans pour relire tous les livres du créateur de James Bond. J'aurais pu aller plus vite mais j'ai voulu prendre mon temps, apprécier les histoires et rédiger un article pour chaque ouvrage sur mon blog avant de commencer le suivant. Je tiens à remercier Jacques Layani, auteur de On ne lit que deux fois Ian Fleming, qui a commenté chaque article, apporté des précisions et plus discrètement signalé par mail les quelques fautes d’orthographe et de syntaxe qui s'obstinent à rester malgré ma vigilance.

Je ne quitte pas Ian Fleming, je vais continuer à m'intéresser à lui mais d'une autre manière, de façon indirecte. J'ai Ian Fleming's James Bond - Annotations and chronologies for Ian Fleming's Bond stories de John Griswold depuis l'année dernière. Je me suis arrêté sur quelques passages déjà, le travail fait par l'auteur semble étonnant. Il y a ce film aussi, Age of heroes, où Ian Fleming est joué par James d'Arcy au moment de la création du commando n°30 pendant la seconde guerre mondiale ainsi que la prochaine mini série consacrée à l'auteur qui arrive bientôt... enfin, j'espère qu'on aura l'occasion de la voir en France.

Pour finir, je me vois bien, au crépuscule de ma vie, si celle-ci me le permet, reprendre une troisième et certainement dernière fois la lecture des livres de Ian Fleming.


Commentaires

  1. Au crépuscule de votre vie ? Allons, elle est toute neuve, voyons. Vous avez bien du temps devant vous et je vous en souhaite davantage encore.
    C'est un bel article de conclusion, qui reprend et regroupe, ainsi qu'une enveloppe le fait de feuilles de papier auxquelles on tient, vos considérations précédentes. Vos gloses (on n'utilise plus ce terme, je ne sais pas pourquoi. Traiter d'un sujet comme vous le faites, c'est gloser), je vous l'ai dit, sont justes et vous savez cerner un propos. J'ai été heureux de lire cette série d'articles. Plusieurs fois, il m'est arrivé de me dire : "Ah, est-ce qu'il a donné un nouveau texte ? Alors, où en est-il de la série ?". La fidélité des lecteurs, quel que soit le sujet, se crée dans la durée. Que celle que nous éprouvons envers Fleming soit effectivement forever.

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    1. Cela me fait un peu bizarre d'avoir achevé la lecture de Fleming, c'était devenu une habitude. L'avoir partagé avec vous fut un plaisir.

      Très sincèrement.

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  2. L'avantage, c'est que quand on a fini Fleming, il reste plein de livre à découvrir autour de son oeuvre. Les nombreux bons livres sur la saga et l'auteur, sa biographie (celle d'Andrew Lycett se lit très bien).
    En tout cas, merci pour ces chroniques de lectures. De mon coté, j'ai découvert les Fleming dans la même édition que toi, et je les redécouvre, depuis quelques années, en anglais. A chaque fois c'est un univers vraiment unique qui n'a rien à voir avec les films que l'on découvre.
    En tout cas, j'attends tes autres chroniques bondiennes avec avidité :)

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    1. Merci.

      Je sais qu'il y a quelques livres intéressants sur Ian Fleming notamment la biographie que tu mentionnes. Je compte bien me la procurer un de ces jours. Pour le moment, je suis plongé dans le livre de John Griswold, c'est passionnant.

      Evidemment, d'autres chroniques bondiennes continueront à être publiées régulièrement ici.

      A plus Yvain.

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  3. Salut !
    Merci pour la proposition mais pour des raisons sur lesquelles je ne m'étendrai pas ici, je n'ai pas du tout le temps en ce moment de rédiger un article pour l'hommage que vous rendez à Ian Fleming. Cela dit, mon article "Ian Fleming is forever" ici peut etre partagé sur commander007.net. Amicalement, Gaspard (Sébastien)

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