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For special services (1982) - John Gardner

"Maastricht. Le centre de contrôle d'Euro Air Traffic passe le vol 12 de la British Airways au contrôle de Londres, juste au moment où l'appareil franchit la côte à quelques kilomètres d'Ostende.
Franck Kennen est de service depuis moind de dix minutes lorsqu'il accepte le vol. Il prescrit au gros porteur, un Boeing 747, de descendre de 9700 mètres à 6500 mètres. Ce n'est pour lui qu'un des appareils figurant dans le champs de son radar - un point vert lumineux avec numéro de vol 12, altitude et cap.
Tout paraît normal. Le vol entre dans la phase finale du long trajet depuis Singapour via Bahreïn. Machinalement, Kennen  avise les services de contrôle de Heathrow : Speedbird 12 va atterrir.
Ses yeux fixent l'énorme écran radar. L'appareil amorce sa descente, les chiffres d'altitude décroissent régulièrement.
- Speedbird un-deux autorisé à atterrir en deux-zéro ; vecteur...
Kennen s'interrompt ; il a senti, vaguement, que Heathrow sollicite des éclaircissements. Et ce qu'il voit à l'écran le saisit aux tripes : le numéro du vol, 12, a disparu. Et pour être remplacé par trois zéros rouges clignotant rapidement.
Trois zéros rouges, dans le code international, c'est le signal d'un détournement." 

Le James Bond de Ian Fleming est un James Bond oublié. Le public n'a que peu voire pas du tout connaissance que les origines de l'espion britannique se trouvent dans la littérature populaire des années cinquante. Après la mort de son créateur, les aventures livresques de l'espion ont continué avec plus ou moins de bonheur. Surtout moins. La première tentative, Colonel Sun, est ratée et la première prise en main par John Gardner, Licence renewed, n'est pas non plus convaincante. Qu'en est-il du deuxième roman de cet écrivain ?

Dès les premières pages, c'est incohérent. L'action se déroule au début des années quatre-vingts et 007 fait équipe avec Sandra Leiter, la propre fille de son ami de la CIA, Felix Leiter. Chez Fleming, il n'a jamais été question d'une progéniture de l'agent américain et cela renvoie à la question de l'age de James Bond. Il ne doit donc pas être très loin de l'age de la retraite. Bien sûr, au cinéma, l'agent britannique a plus de cinquante ans d'activités au compteur mais nous ne sommes pas exactement dans le même univers ; et pour faire un peu de mauvaise foi, on peut avancer le fait que Casino Royale a opéré une remise à zéro du compteur en 2006.

De plus, l'apparition de Sandra Leiter me pousse à faire la même réflexion que j'avais faite à propos de Solo paru en 2014, avec l'arrivée d'un certain Brigg Leiter, neveu du même Felix : les services secrets américains ne seraient donc qu'une société familiale ?

Et les désagréments continuent. John Gardner a décidé de ressusciter SPECTRE. Pourquoi pas, est-il possible de se dire. Installant un certain mystère autour du responsable de cette renaissance, on espère quand même qu'il a bien pris en compte que Blofeld est mort, tué par James Bond dans You only live twice. On apprendra, après l'installation d'un peu de mystère autour du retour de SPECTRE, qu'il est du à la fille de Blofeld, Nena, ce qui renvoie une fois de plus à la question de l'âge de James Bond ; et cette nouvelle question qui rejoint celle de la CIA : SPECTRE ne serait donc qu'une entreprise familiale ?

La fille de Leiter, la fille de Blofeld, c'est un peu beaucoup ces "filles de". John Gardner transforme l'univers de Ian Fleming en une désolante saga familiale. Je n'aime pas du tout ces mauvaises idées. Ne manquent plus à l'appel que le petit fils de M et la nièce de Miss Moneypenny et ce sera Dallas ! Miss Moneypenny justement, nous avons droit à une scène entre Bond et elle, le genre de scène issu des films et non des romans originaux. William Boyd commettra la même erreur avec son Solo en 2013 alors qu'il aurait été plus judicieux de faire intervenir Loelia Ponsonby, la secrétaire de James Bond, nettement plus présente dans les œuvres de Fleming ; car pour être clair, j'opère une nette distinction entre l'univers des romans et celui des films. Et ce qu'a écrit Fleming est tellement formidable !

Vient donc alors cette question : au delà de la justification commerciale, à qui s'adressent les romans post Fleming ? Car il semble que John Gardner mélange allègrement ce qui vient des romans originels (trop peu) et ce qui vient des films (beaucoup trop), et à l'époque où il livre ses premiers écrits, nous sommes dans la période Roger Moore qui, à mes yeux, est loin d'être la meilleure mais qui semble pourtant l'influencer.

Autre incohérence, et pas des moindres, alors qu'est supposé dès le début le retour de SPECTRE (James Bond le soupçonne en fonction d'un indice assez grossier, comment peut-on écrire quelque chose d'aussi naïf ?), et qu’un tel paramètre nécessite une absolue discrétion autour de l'enquête, l'auteur ne trouve pas mieux que de donner à James Bond la couverture d'un célèbre connaisseur de gravures rares car le supposé ennemi, un certain Bismaquer, est un collectionneur de ce type d’œuvres. En fait, John Gardner s'est arrangé pour que le rapprochement entre 007 et ses ennemis soit des moins compliqués à entreprendre.

De plus, à bien y regarder, la structure de l'histoire n'est pas éloignée de celle de On her Majesty's secret service (le roman) et la configuration du ranch où se déroule la majeure partie du livre n'est pas très éloignée du Piz Gloria de Blofeld. J'ai eu une impression de déjà-vu alors qu'il m'est arrivé de constater et d'écrire dans mes billets consacrés à ses livres, que Ian Fleming avait pris soin de rendre des œuvres très différentes les unes des autres.

Un point m'a quand même plutôt amusé, celui du plan de la prise du contrôle du NORAD par l'envoi massif de glaces contenant un puissant psychotrope destiné à son personnel. C'est déjà ça.

Pour conclure, je pense qu'il aurait été plus judicieux de faire revenir SMERSH car SPECTRE est lié à des drames plus intimes ayant atteint James Bond (l'assassinat de Teresa, la vengeance qui a suivi) et la renaissance de l'organisation de Blofeld ne fonctionne pas ou très mal ; sans compter que John Gardner est incapable de créer une ambiance inquiétante. J'avais constamment en tête celle du Piz Gloria, tellement plus riche et tendue.

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